La résilience par les arts
Génocide contre les Tutsis du Rwanda, 25 ans plus tard
kuba, kuba-ho, kuba-na*
être, être ici, être avec
Entrevue de Lisa Ndejuru par Anne-Laure Mathieu
Aujourd’hui le 7 avril 2019, est le jour de commémoration des 25 ans du génocide contre les Tutsis du Rwanda. En 3 mois, plus de 1 000 000 de rwandais, principalement Tutsis, perdaient la vie : le génocide le plus foudroyant de l’histoire.
En novembre dernier, nous avons invité, dans le cadre des conférences de CINARS 2018, l’artiste, chercheuse et psychothérapeute Lisa Ndejuru. Ayant immigré avec ses parents au Québec dans les années 80, Lisa était au milieu de sa vingtaine au moment des faits. A L’époque, ses incompréhensions, ses souffrances et questions faisaient déjà partie intégrante de son histoire. Une famille en exil, un peuple en exil, un grand père assassiné et l’autre vivant dans des camps de réfugiés.
Poussée par une quête identitaire et existentielle elle a mêlé sciences des religions, psychothérapie et arts pour trouver des chemins de transformation. Elle a depuis soutenu la diaspora rwandaise, mais aussi des réfugiées, juifs, cambodgiens, autochtones… les blessés de l’histoire comme elle les nomme, à trouver les chemins de résilience grâce aux arts.
Être : l’expérience du beau change qualitativement le sens d’être en vie.
« Ma recherche porte sur comment atteindre le bien-être quand on a été disloqué de l’intérieur. Tout est partie d’une quête existentielle, mais aussi pour qu’on aille mieux dans ma communauté, dans ma famille. Il y avait de nombreuses couches : être ailleurs, racisés en occident, avoir du mal à s’enraciner, nos questions concernant la colonisation, la christianisation, la langue. Mais aussi toutes les séries de contradictions internes sans réponses, qui font sauter le disque. Je cherchais à mettre de l’ordre pour faire sens.
L’art a de multiples facettes qui permettent d’y arriver. Tout d’abord l’écriture et la réinscription. Passer de sujet à auteure, un changement de position, un passage à la voix. Faire des choix, ne pas juste subir. L’art aussi permet de se rapprocher de soi-même car en créant tu veux arriver quelque part, transformer quelque chose, tu veux être transformée.
Être c’est une énergie vitale. Tu n’es pas là pour rien et les arts sont reliés à cette expression là. L’expérience du beau c’est quand ça change qualitativement ton sens d’être en vie. »
Être ici : rester authentique dans une société moderne
« Le processus de création qui demande abandon, confiance, attention, posture est le contre poison de la violence et la peur. Cependant, une question importante quand tu viens d’une société étiquetée “traditionnelle” est de rester authentique dans une société moderne (si la conception de la modernité est exclusivement occidentale). Tu as un besoin d’être dans le passé pour conserver une partie de qui tu es, du langage commun comme la danse traditionnelle dans mon cas. La création peut devenir un lieu de possible et d’avenir, mais une langue qui te relie aux anciens et au sacré peut difficilement être modifiée sans être brisée. J’ai d’ailleurs une affinité particulière avec les autochtones qui partagent les mêmes questionnements. Moi, j’ai trouvé la performance et l’écriture pour me relier au possible.»
Être avec : devenir une caisse de résonnance pour révéler d’autres histoires
« Toutes les disciplines dans lesquelles j’ai étudié, les sciences des religions, la psychothérapie et les arts ont le point commun de chercher le lien, à relier. Je me suis particulièrement intéressée à l’art du dialogue. Il y a une esthétique dans le dialogue. La culture de la parole.
Dans le cadre de trauma il y a des questions de santé mentale, mais aussi des dimensions sociales, politiques qui ne sont pas qu’individuelles. Les histoires spécifiques et la singularité de l’expérience sont très importantes et essentielles, mais elles peuvent encore plus prendre du sens avec les autres histoires. Écouter toutes ces histoires permet de toucher au plus subtil, créer une toile pour mieux comprendre, c’est l’intelligence collective.
Nous sommes tapissés d’histoires à même le corps, l’art permet de secouer, de mettre en mouvement, d’enlever la poussière et de percevoir. Une fois bien secoué, le tapis laisse apparaître alors un instrument, une caisse de résonances qui permet à son tour de révéler d’autres histoires.»
Cliquez ici pour écouter l'intervention de Lisa Ndejuru à CINARS 2018 : Créer des possibles.
* Abbé Alexis Kagamé