Corps & Numérique

Vivre avec son temps, tirer profit du numérique en restant à l’écoute du corps.  

Entrevue de Maxime Fleuriot - Consultant Danse et Innovation

 

 Comment être à l’écoute du corps à l’ère du numérique ? Comment le numérique peut-il être au service de la danse ? Comment la danse et le numérique peuvent-ils nous aider à être ensemble ? Voici le genre de questions que se pose Maxime Fleuriot consultant en danse et innovation, ancien conseiller artistique de la Biennale de la danse à Lyon et instigateur du premier Dansathon : un hackathon dédié au futur de la danse qui a eu lieu l’automne dernier dans trois villes européennes, Lyon, Liège et Londres. Nous avons eu la chance de l’inviter comme conférencier à la Biennale CINARS 2018 et de l’avoir récemment en entrevue.

La révolution passera par le corps

« On voit aujourd’hui un intérêt généralisé pour la danse, que ce soit dans la communication, dans les médias, les publicités. Pour moi cela s’explique parce que le corps agit comme une valeur refuge dans un climat où on observe une défiance grandissante pour les mots, les idéologies, la rhétorique politique, la montée du populisme... La danse apporte avec elle une idée de légèreté, de quelque chose de joyeux.

Il y aussi cette idée que le corps ne peut pas mentir, et en ce sens, porter une plus grande attention à son corps, c’est porter une plus grande attention à soi. Cela va dans le sens d’un mouvement très profond dans la société qui suggère d’être plus écologique, de faire attention à ce qui est présent autour de nous et qui doit être préservé. Cela passe aussi par une attention au corps, le notre et celui des autres. Je vois la danse (et notamment la danse contemporaine) comme un laboratoire, un chemin d’accès vers le corps. La danse rend présent au monde, c’est l’expression d’un liant. Elle ouvre sur des questions essentielles du rapport au corps, aux autres, aux espaces, à l’environnement. Elle permet que cet impératif écologique ne soit pas vu seulement comme une grosse punition, mais comme un chemin spirituel et physique,  la découverte qu’on a un corps. »

 

Les artistes du corps : des gardiens de l’humain dans le monde numérique

« Le numérique envahit nos vies et influence le vivant. Les limites du numérique, nous les connaissons : créer de l’isolement, des dépendances, un oubli de soi, on constate même aujourd’hui des effets corporels. A priori, c’est l'inverse de ce qu’on recherche avec la danse : se reconnecter à soi, à l’autre, à son environnement. Cependant, si on décide ne pas ignorer son époque, on peut voir le numérique également comme une source de nouveaux langages. Des outils et des potentiels artistiques apparaissent aussi avec le numérique qui ne sont pas seulement des sources de pollution. Je trouvais ça intéressant dans l’idée d’organiser un Dansathon, de réunir des gens du corps et de la danse pour réfléchir au numérique. Les outils numériques ne sont pas développés par des personnes qui travaillent avec le corps. Pourtant, ça me semble fondamental d’inviter les chorégraphes, ces artistes du corps dans cette discussion ; ils peuvent ainsi devenir des gardiens du temple humain. Ils n’entretiennent pas avec le monde numérique une fascination pour l’image, ils peuvent apporter leur expertise des ressentis corporels (poids, vitesse, rapport à l’espace…). C’est très visible par exemple dans des champs comme celui de la réalité virtuelle, les artistes chorégraphes sont de véritables experts de ceux que les concepteurs numériques appellent « l’expérience utilisateur ». 

 

Le Premier Dansathon : le début d’une communauté internationale

« Dansathon veut dire Hackthon + danse. Les hackathons ont cet avantage de décloisonner les savoirs, de travailler en horizontalité et de déployer une énergie ludique qui se substitue aux cadres habituels et permet l’émergence d’idées concrètes fortes. Ce Dansathon n’avait pas pour but de développer seulement de la création pure, mais de voir comment la danse peut s’adresser à de nouveaux publics dans de nouveaux territoires grâce au numérique. C’est une problématique commune à l’ensemble des acteurs du milieu de la danse qui demandait d’accoucher de solutions collectives. Nous avons donc invité des chorégraphes, danseurs, professionnels des communications, spécialistes de la réalité virtuelle et des drones, des programmateurs, mais aussi des éclairagistes et sonorisateurs, à relever ce défi.

Bien entendu, il y a un phénomène d’acculturation pour les participants qui demande un temps nécessaire ; les différences de langages produisent des décalages, mais toutes les personnes présentent ont été ravies de l’expérience et cela a surtout permis de créer un début de communauté internationale, des personnes qui restent en lien, qui échangent et veulent poursuivre l'aventure.

Ce qui est avant tout ressorti de ces trois jours d’exploration c’est l’importance de créer des liens physiques en utilisant le numérique pour développer de nouveaux publics. L’équipe gagnante à Lyon a développé une application appelée Vibes, qui permet de rencontrer des inconnus qui partagent l’envie de danser en même temps que vous.  Ce projet est en développement et sera présenté en 2020 à la prochaine Biennale de la danse de Lyon.”

 

Anne-Laure Mathieu